Harpe de Mélodie

"Il m'est difficile de départager actuellement les raisons premières qui m'ont conduites à penser cette oeuvre un peu inhabituelle dans ma production. Raisons esthétiques d'abord : j'ai été frappé par les similarités sensibles et observables entre le répertoire pour mridangam d'Inde du sud d'une part, et par la musique du Codex Chantilly, et en particulier la célèbre "Harpe de Mellodie" de Jacques Senlèche d'autre part. Dans les deux cas, j'entends une musique qui se mesure à ses propres codes, qui compose son propre vocabulaire en même temps qu'elle s'exprime avec ce même vocabulaire. J'entends une mise en crise du rapport entre vocalité et instrumentalité sous la forme d'une circulation permanente entre signifié et signifiant. J'y entends surtout une critique active des faux antagonismes entre science et plaisir. (...)
Raisons politiques aussi : il me semble urgent de clairement définir les échanges et les dialogues entre les cultures sous l'angle de la similarité, et non de la différence, différence dont l'idéologie constitue une matrice de certitudes mortifères, de clivages artificiels. Le sujet principal du morceau, la répétition, loin de représenter un quelconque acte de vassalité à l'"air du temps", ou pire, une marque de fabrique infantilisante et indéfiniment réitérée, constituerait le moteur même de l'inachèvement en acte, un inachèvement consubstantiel à toute velléité d'identité désireuse, néanmoins, de rester humaine et donc critiquable. Contre la liturgie du "copy-paste", donc, un animisme du devenir. (...)"
Brice Pauset